Cultura: Musique contemporaine, quel avenir?
Frank Madlener : Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, la musique contemporaine voulait rompre avec le passé. Les compositeurs ont fait table rase des architectures anciennes, bouleversé l'harmonie, le rythme, la mélodie... et le public. Ce dernier n'eut alors plus guère de contact avec cette musique qu'à travers les films d'horreur ou de science-fiction, comme lorsque Stanley Kubrick a utilisé des oeuvres de György Ligeti (1923-2006) dans 2001 : l'odyssée de l'espace ou Eyes Wide Shut. Mais la situation a beaucoup évolué ces dernières décennies, avec ces mêmes compositeurs qui ont traversé les crises. La musique contemporaine se réconcilie peu à peu avec certaines formes et formats classiques, tandis que le monde de l'électronique s'est considérablement déployé.
Est-ce suffisant pour séduire le public ?
Les oeuvres qui captent réellement l'auditeur provoquent simultanément des surprises et des attentes, l'imprévu et la mémoire. Cela passe, par exemple, par l'utilisation de figures ou de signaux récurrents, ou par la virtuosité des interprètes. Dans les concerts de musique classique, le talent des solistes aide souvent le public à fixer son attention. Il arrive même qu'un interprète célèbre attire les spectateurs vers une oeuvre méconnue. C'est également possible avec les compositions contemporaines. Nous travaillons beaucoup, à l'Ircam, sur le traitement électronique en temps réel du son émis par des instruments acoustiques. L'idée est de déclencher des actions numériques, soit pour modifier le son produit par les interprètes, soit pour jouer des séquences électroniques préenregistrées lorsque certaines notes sont jouées. Nous y parvenons déjà avec de petites formations, par exemple des quatuors. Nous pouvons aujourd'hui changer d'échelle et maîtriser cette association avec des ensembles plus importants, sur les scènes du spectacle et de l'opéra.
Quel rapport cette musique devra-t-elle entretenir avec les autres disciplines artistiques ?
Dans l'absolu, je crois à l'autonomie du musical, qui n'a besoin de rien d'autre pour exister tant sa puissance est grande. Mais cette puissance même provoque un isolement. D'où l'idée fréquente de l'associer à la vidéo, à la danse ou au théâtre. Néanmoins, dès lors que l'on essaie de mettre ensemble la musique et une autre forme d'art, il faut affronter une difficulté : l'un peut asservir l'autre. La musique va-t-elle subir l'image ? Ou l'inverse ?
S'agira-t-il d'obtenir un mariage à parts égales ?
Oui. Si l'on parvient à ce que ni le son ni l'image ne serve d'accompagnement à l'autre, l'association entre le visuel et le sonore peut ouvrir un champ d'exploration gigantesque. Pour cela, il faut que le compositeur et le vidéaste travaillent véritablement ensemble. Cette année, nous avons tenté six "mariages" de ce type. Un seul a pleinement réussi : celui de deux Sud-Américains, Roque Rivas et Carlos Franklin, avec l'oeuvre Mutations of Matter, dont la création mondiale a eu lieu pendant le festival Agora organisé par l'Ircam, à Paris, du 4 au 20 juin. Ils y racontent une déambulation dans la ville de New York. Son et image ont été associés note à note, grain à grain. Mais une collaboration artistique de cette qualité demande une énergie folle, beaucoup de temps et un lieu où tenter, expérimenter, échouer ou réussir.
Les jeunes d'aujourd'hui peuvent-ils apprécier la musique contemporaine ?
L'esprit expérimental de l'Ircam nous a conduits à lancer des ateliers de création avec trois classes de banlieue parisienne. Soixante élèves, en bac pro de secrétariat ou de chaudronnerie, ont été invités à des visites commentées au Centre Pompidou - où ils n'étaient jamais allés - autour de deux tableaux particuliers. Ils ont ainsi acquis quelques termes permettant de décrire ces tableaux. Puis nous sommes allés dans leur école pour enregistrer des sons appartenant à leur environnement - le moteur de la ventilation dans un atelier, des claquements de porte, des Klaxons, le bruit de la rue -, et nous leur avons demandé d'appliquer à ces sons les termes appris avec les tableaux. Identifier un son dur qui devient moelleux, déceler une symétrie sonore, un passage de l'organique au mécanique...
De retour au Centre Pompidou, nous avons joué ces scènes sonores face aux tableaux initiaux, et nous avons constaté que la seule chose qui manquait aux élèves pour apprécier les unes comme les autres, c'était ce vocabulaire de description. Les logiciels pédagogiques que développe l'Ircam, comme Musique Lab, vont dans le même sens. Il s'agit de donner aux professeurs des outils qui peuvent analyser les oeuvres musicales, qu'il s'agisse de Bach ou de Messiaen.
Cela suffira-t-il pour que la musique contemporaine ne reste pas réservée à de rares connaisseurs ?
Il lui manque certainement une présence régulière comme celle, par exemple, qu'a obtenue la danse contemporaine au Théâtre de la Ville. Notre festival Agora a rassemblé 9 000 spectateurs en 2007, et l'ensemble des productions de l'Ircam a touché 40 000 spectateurs en 2007. Mais, globalement, il manque des relais, à la télévision, à la radio, dans la presse. Il faudrait également disposer d'un espace dédié à la création contemporaine à Paris. Cet espoir nous transforme souvent en missionnaires ou en militants, alors qu'il s'agit simplement de parler du plaisir du musical. Je rêve d'une émission de radio populaire, comme le célèbre "Pop Club" que présentait José Artur sur France Inter, dédiée à la musique contemporaine et aux arts auxquels elle s'associe. Une émission accessible et vivante.
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