Música: Anglophone et produite en France, Feist est une championne de l'export

Un an après la sortie de son troisième album,The Reminder, la chanteuse canadienne Feist, qui jouera à guichets fermés, à Paris, au Grand Rex les 3 et 4 juin, peut s'enorgueillir d'un joli succès. Plus de 1,2 million d'albums vendus dans le monde, dont 510 000 aux Etats-Unis, 240 000 au Canada, 150 000 en France, 100 000 en Grande-Bretagne ; un tube, 1234, fredonné partout ; un accueil critique dithyrambique ; quatre nominations aux Grammy Awards. Cela pourrait paraître banal pour une vedette pop anglo-saxonne. Ça ne l'est pas quand on sait que cette jeune femme, née il y a trente-deux ans en Nouvelle-Ecosse, a été produite en France par la branche locale de Polydor, un label d'Universal.

Si la France a su exporter des artistes étrangers dans le domaine du jazz ou des musiques du monde, rarissimes étaient jusque-là les artistes pop-rock anglo-saxons à s'imaginer l'Hexagone comme tremplin international.

Après avoir autoproduit au Canada un très confidentiel premier album, Monarch (Lay Your Jewelled Head Down), Leslie Feist a choisi de s'exiler en Europe. "C'était un choix de vie, explique aujourd'hui la chanteuse, une façon de m'enrichir artistiquement et de profiter d'un art de vivre qui fait défaut à l'Amérique."

Elle s'installe d'abord à Berlin, proche d'une communauté d'artistes parmi lesquels son compatriote le pianiste Gonzales, demeuré son fidèle complice. Après un séjour à Rome, elle emménage finalement à Paris et enregistre les maquettes d'un nouvel album, Let It Die, avec Gonzales et l'ingénieur du son français Renaud Letang.

La filiale anglaise de Mercury, autre label d'Universal, courtise la demoiselle. Pourtant, Feist signe chez Polydor France. "Un contrat en France, rapporte Robbie Lakritz, le manageur de la Canadienne, était une façon d'éviter l'uniformisation." "J'ai senti que je pouvais ici obtenir une liberté artistique totale", estime Feist.

Séduit par une voix "à la fois énergique et émotive" et des chansons batifolant avec grâce entre pop contemporaine et musiques d'avant le rock, le directeur artistique de Polydor, Jean-Philippe Allard, relève un sacré défi. "Produire en France un artiste anglo-saxon est compliqué, dit-il. La loi sur les quotas oblige les radios à ne passer que 40 % de chansons non francophones. Cette part est presque entièrement occupée par les tubes internationaux. Difficile de développer une nouvelle artiste dans ces conditions."

Solution : parier sur l'export, "mais il faut beaucoup de temps et investir beaucoup d'argent dans les concerts, dans les clips". Grâce, entre autres, à l'utilisation du titre Mushaboom dans une publicité pour un parfum, Let It Die reçoit un bel accueil international. Pourtant, même avec 500 000 exemplaires vendus dans le monde (dont 190 000 aux Etats-Unis), Polydor France perd de l'argent.

UN PUBLIC DE JEUNES ADULTES

Enregistré de nouveau avec Gonzales et Renaud Letang, dans un manoir de la région parisienne, l'excellent The Reminder sort fin avril 2007. La carrière de ce nouvel album repart là où s'était arrêtée celle de son prédécesseur. Les mises en place dépassent les prévisions. Aux Etats-Unis, The Reminder entre à la 16e place du classement des meilleures ventes de disques. Une première pour un Anglo-Saxon produit en France.

Signes précurseurs du succès, les bons résultats des téléchargements payants : "Cela signifiait que l'on touchait un public de jeunes adultes, décrypte Jean-Philippe Allard, moins adepte du piratage et au pouvoir d'achat plus fort que les ados."

Dans un marché du disque sinistré, les artistes ont besoin d'autres accélérateurs pour franchir de nouveaux paliers. Quelques mois après la sortie de l'album, Apple adopte le titre 1234 et sa vidéo pour une publicité. La carrière de Feist a profité de ce coup de pouce, de la même façon que celle de la Franco-Israélienne Yael Naim a récemment bénéficié de l'utilisation de sa chanson New Soul pour une autre publicité du même géant de l'informatique.

Après la diffusion de la pub, les téléchargements payants de 1234 passent de 2 000 à 73 000 ventes par semaine. Classé en 102e position dans le hit-parade britannique, le single remonte à la 8e place.

La réussite n'aurait pu se focaliser que sur ce tube. "En fait, explique le manager de Feist, les ventes de l'album se sont accrues sur le même tempo." Encouragé par ce succès, Jean-Philippe Allard a produit depuis d'autres anglophones, comme la chanteuse folk nigériane Ayo et l'Australienne pop Micky Green, dont les disques sortent cet été dans de nombreux pays. Devenu depuis responsable des éditions BMG-Universal, il a aussi signé des Français chantant en anglais, comme le groupe The Do ou la chanteuse Soko. Il en est convaincu, "dans un marché en forte baisse, l'espoir peut venir de l'exploitation internationale".


Stéphane Davet

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