Arte: Tatiana Trouvé se joue, avec art, du temps et des matières

Pour parler de son exposition au Centre Pompidou, Tatiana Trouvé, 40 ans, lauréate du prix Marcel-Duchamp 2007, commence par le titre. Ce dernier - "4 Between 3 and 2" - peut troubler. "2, ce sont les 2 dimensions de mes dessins. 3, les 3 dimensions des sculptures. 4, c'est le temps, explique-t-elle. Les dessins parlent d'un espace qui manque dans l'exposition. Les sculptures sortent des dessins. Et le temps, c'est celui qui s'écoule et que l'on ne peut mesurer".

Aux deux extrémités de la salle, par deux petits trous au milieu des murs, un filet de sable noir s'écoule et s'amasse en tas luisant sur le sol. Quand l'exposition se terminera, ils auront atteint près de 2 mètres de haut. "L'exposition sera remplie par le sable - dont on ne voit pas d'où il vient. L'espace visible aura été envahi par un espace invisible."

Ces renversements, qu'elle nomme tantôt "basculements", tantôt "perversions", obsèdent l'artiste. Dans ses dessins au graphite sur papier blanc, l'incertitude règne.

Au premier regard, on dirait des dessins d'architecture, escaliers, sièges, étagères et portes-fenêtres, d'un trait limpide et précis. "Ce sont des traces de l'architecture des années 1950 et 1960 - la dernière période où l'on sent le tracé du dessin dans le bâtiment. Celle aussi où le lien avec l'abstraction est le plus direct", dit-elle.

Mais sommes-nous à l'intérieur, à l'extérieur, ou dans quelque lieu imaginaire ? La dernière hypothèse est la plus juste. Ces dessins commencent de manière réaliste, par des photos et leur projection sur la feuille. "C'est une base, souligne l'artiste. A partir de là, j'efface beaucoup, je reprends, je change. C'est comme une expérience que je poursuis. A la fin, les dessins sont structurés comme des rêves."

On en dirait autant de ses installations : à travers une vitre, le visiteur voit un espace en angle, la base de ce qu'il croit une colonne, des flaques d'eau, l'amorce d'un couloir. Il faut du temps pour s'apercevoir que cette vue est obtenue grâce à un miroir dans lequel se reflète la partie inférieure de bouteilles métalliques qu'une autre fenêtre découvre sous un autre angle.

Au fond de la salle, Tatiana Trouvé a aménagé des corridors étroits et bas - lieux impossibles. "Inconscient de l'architecture", dit-elle. Si l'on prononce le nom de De Chirico, elle, dont la mère est italienne, observe que le créateur de la Pittura metafisica fait partie de sa culture. "Mais il n'y a rien de surréaliste ou de mystique dans mon travail", nuance-t-elle.

Ce travail se développe depuis une dizaine d'années toujours dans ce registre de l'allusion et du sous-entendu. Petite fille ironique de Duchamp, elle a fondé (elle est l'unique employée) le Bureau des activités implicites dont le nom dit assez la méthode d'intervention : se glisser dans le réel et le modifier imperceptiblement pour le faire basculer de "l'autre côté".

Ennemie du spectaculaire, adepte dans ses premières oeuvres d'une sorte de bricolage léger et approximatif où cartons, élastiques et rubans adhésifs étaient ses matériaux, elle joue à troubler le quotidien et la perception que nous en avons. Perception qu'elle met à l'épreuve depuis peu dans ses dessins au crayon noir sur papier noir, avec, parfois, une tache de peinture noire séchée ou une ligne découpée dans une feuille de cuivre. Ils demandent à l'oeil beaucoup d'attention. "J'inverse le procédé habituel du dessin, de l'apparition vers la disparition."

Au nom de cette notion, Tatiana Trouvé a divisé la salle en son milieu par une grille, chaque moitié étant le symétrique de l'autre. Mais la symétrie n'est pas exacte : "Les deux espaces se font écho par rapport à la grille comme ils se répondent dans le temps." D'un bronze qui figure une corde se tordant dans l'air, elle dit encore que c'est du "temps réfrigéré, gelé".

Tatiana Trouvé. "4 Between 2 and 3", Espace 315, Centre Pompidou, Paris-3e. Mo Rambuteau. Tél. : 01-44-78-12-33. Du mercredi au lundi, de 11 heures à 21 heures. Entrée : 12 €. Jusqu'au 29 septembre.

Philippe Dagen

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