Arte: Emil Nolde, l'extrémiste de la couleur
LES SABLES-D'OLONNE (VENDÉE) ENVOYÉ SPÉCIAL
Dans une vitrine, à l'entrée de l'exposition des "images non peintes" de l'Allemand Emil Nolde (1867-1956), est présentée une lettre estampillée de l'aigle et de la croix gammée. Datée du 23 août 1941, adressée à Nolde par Adolf Ziegler, peintre officiel du IIIe Reich, elle lui enjoint de cesser de peindre et lui rappelle à quel point ses œuvres sont des insultes à l'idéal esthétique nazi.
Les "images non peintes" sont les aquarelles (plus de 1300) de petite dimension que Nolde a créées durant cette période où la Gestapo pouvait venir vérifier s'il respectait cette interdiction et ne continuait pas à produire de l'"art dégénéré". Une anthologie de 80 d'entre elles est présentée. Elle est somptueuse, comme chacune de ces œuvres au chromatisme paroxystique.
DRAME ET EFFROI
Paysages marins, apparitions humaines, danseuses, animaux fabuleux : en 1941, ces motifs sont ceux de Nolde depuis le début du siècle, depuis qu'il est l'un des protagonistes de ce qu'on appelle en France l'expressionnisme allemand. Il a été proche du groupe Die Brücke (le pont), fondé en 1905 à Dresde et dont les autres héros sont Kirchner, Pechstein et Heckel.
Ayant vite rejoint sa solitude, il y a développé un style fondé sur le geste et l'éclat de la couleur. L'extrême est son état habituel. Les danses ne peuvent être que sauvages, les mers que déchaînées, les passions que féroces, la nudité qu'indécente.
Qu'il prenne dans la Bible ou les mythes nordiques, toute scène est drame et effroi. La sûreté des touches colorées qui dessinent les formes et gonflent leurs volumes va de pair avec un mépris absolu du naturalisme. Pour Nolde, l'eau peut être jonquille, le ciel émeraude, les cheveux pourpres, la terre vermillon : son inventivité chromatique connaît aussi peu de limites que celle de Kirchner et du Matisse des années fauves. L'histoire de chaque aquarelle est celle de la montée des tons jusqu'à une intensité dont on croirait l'aquarelle incapable, tant elle est dense et forte. Par une chimie où entrent gouaches et encres et par des superpositions nombreuses, Nolde parvient, sur le papier, à un éclat que l'huile elle-même a peine à atteindre. La petite taille des œuvres accroît encore l'impression visuelle par la concentration sur quelques centimètres carrés de contrastes si vifs.
Il n'est pas moins remarquable qu'il peigne de la même manière les tempêtes et les visages, sans aucun respect pour les traditions qui réglementent généralement la représentation de la figure humaine. Elle devient masque hurleur et bariolé, profil gothique spectral, grimace de gargouille. Les femmes ne sont l'objet d'aucun traitement de faveur, goules aussi inquiétantes que leurs hommes ricanants. Ensor (1860-1949) peignant avec la palette de Van Gogh, ce pourrait être une définition de ces "peintures non peintes", dont quelques-unes, après 1945, ont été transposées sur la toile par l'artiste.
NUAGES OU ÉCUME
Cette fureur a-t-elle été augmentée par l'interdiction de peindre proférée par les nazis et par la présence d'œuvres de Nolde dans les expositions dites d'"art dégénéré" ? Nolde paraît vouloir aller, plus encore qu'auparavant, jusqu'au bout de son expressionnisme subjectif, jusqu'au stade où l'éclaboussure des couleurs suffit et où le motif – nuages ou écume – n'a que peu d'importance.
Il est cependant une autre raison probable à cet état paroxystique. Nolde a cru, en 1933, qu'il serait considéré comme l'incarnation picturale du génie nordique et que le régime hitlérien l'accepterait pour tel. Il a adhéré au parti nazi en 1935 et s'est efforcé d'y demeurer, alors que Kirchner se suicidait de désespoir en 1938. Le courrier d'août 1941 a mis un terme à cette manœuvre dont ce serait peu dire qu'elle ne grandit pas Nolde. Musée de l'abbaye Sainte-Croix, rue de Verdun, Les Sables-d'Olonne. Tél. : 02-51-32-01-16. Jusqu'au 7 septembre. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 12 heures et de 14 h 30 à 18 h 30. 4,60 €.
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