Cultura: The Clash, morts mais vivants

On n'est pas responsable, dans le rock, de ses héritiers. Peut-on en vouloir à The Clash d'avoir inspiré une lignée de pseudo-rebelles néopunk ? Ces Arctic Monkeys, Rakes, Kooks, si respectueux de leurs aînés qu'ils s'avèrent incapables de produire quoi que ce soit de personnel.

Rare grand groupe (avec les Beatles) à ne s'être jamais reformé, même s'il en fut question peu avant la mort du chanteur Joe Strummer en 2002, The Clash voit sa grandeur rappelée avec trois parutions : un album live au Shea Stadium de New York, un DVD d'extraits de concerts, et surtout un beau livre.

Enseignement pour les générations actuelles : le quatuor londonien est resté dans l'histoire (London Calling est régulièrement élu meilleur album), parce qu'avant de jouer la moindre note de musique, il s'est révolté contre les pères, quitte à se réconcilier plus tard.

Tout commence avec 1977, une chanson-manifeste qui propose d'en finir avec Elvis, les Beatles et les Rolling Stones (pourtant premier émoi rock de Strummer). Ce qui, pour des inconnus, est impensable aujourd'hui. Ils auraient pu en rester là, fidèles à l'irrespect juvénile du punk. Mais dès London Calling (1979), ils s'approprient l'héritage rock des années 1950 et conquièrent l'Amérique ; la pochette pastiche d'ailleurs le premier album d'Elvis. Et le livre The Clash est tardivement inspiré des Beatles et de leur Anthology (2000).

Dans cet album, les quatre croisent leurs souvenirs. La personnalité de Strummer, disciple engagé du folksinger Woody Guthrie, domine. Sarcastique, y compris avec lui-même, entier, d'une honnêteté quasi masochiste. Mais chacun a sa place : plus que simple guitariste, Mick Jones est "le" musicien, avec de brillantes idées d'arrangements ; Paul Simonon, qui apprendra la basse en cours de route, est en charge du look. Mais le "Nègre blanc", au contact de la communauté antillaise depuis son plus jeune âge, est fan de reggae, ce qui sera décisif sur le son et l'impact de la formation. Le batteur Topper Headon, le meilleur instrumentiste du groupe, jette des ponts vers la soul et le funk. Il y a, enfin, le manageur, Bernie Rhodes, qui les encourage à chanter leur quotidien. Chômage, oisiveté, émeutes raciales sous le gouvernement Thatcher. The Clash chronique aussi leur époque - course aux armements, guerre d'Afghanistan, révolution sandiniste au Nicaragua...

Comme souvent dans le rock, c'est l'ascension qui est la plus intéressante. Ces losers programmés, petites frappes qui hésitent entre le football et le rock, donnent leurs premiers concerts en pleine explosion punk. Ils sont la cible de crachats ; la baston, dans la fosse et parfois sur scène, est ordinaire. Leur handicap est de passer après les Sex Pistols. Il se transformera en opportunité : la bande à Johnny Rotten, qui se réclame du situationnisme, s'épuisera dans un cynisme et un nihilisme autodestructeurs. The Clash sera sauvé par sa foi en l'utopie. Sa mise en cause du show-business aura une influence décisive sur le rock alternatif des années 1980, notamment en France, avec Noir Désir.

En 1979, le punk a son martyr : Sid Vicious, un jeune homme dénué de tout talent, et qui ne doit sa célébrité qu'à sa toxicomanie et son brevet d'inventeur du pogo. La plupart des groupes punk se limitent à des refrains de hooligans hurlés d'un fort accent cockney. The Clash tire son épingle du jeu et invente la sono mondiale avec Sandinista (1980). Au reggae s'ajoutent hip-hop, gospel, rhythm'n'blues. Sans ce triple album, on n'aurait peut-être jamais entendu parler de Manu Chao.

Les fans français apprécieront dans le livre l'arrêt sur le passage au Théâtre Mogador, à Paris, en septembre 1981. The Clash y reste une semaine, ce qu'aucun groupe de cette envergure ne fait aujourd'hui. Un an plus tard, le 13 octobre 1982, il joue en première partie des Who devant 50 000 spectateurs au Shea Stadium de New York, symbole de l'hystérie rock collective depuis le concert des Beatles de 1965. Héroïnomane, Topper Headon a été débarqué et remplacé par Terry Chimes. Le départ de Mick Jones assènera le coup fatal.

Sans le savoir, le commando livre un de ses derniers combats rock. Strummer porte l'iroquoise de DeNiro dans Taxi Driver (on voit l'acteur américain en coulisse, dans le livre), Mick Jones a opté pour le béret et le treillis de parachutiste, les deux autres, dans le fief des New York Mets, sont munis de battes de base-ball.

Mieux que From Here to Eternity (1999), compilation d'extraits de concerts entre 1978 et 1982 (procédé repris par le DVD Revolution Rock), le Live at Shea Stadium restitue l'énergie décoiffante de The Clash, du London Calling initial au I Fought the Law final. On entend l'idéal d'un groupe de rock : pris séparément, aucun membre n'impressionne, tout est affaire d'alchimie. Le mot de la fin, à méditer par tous les professionnels de la reformation, revient à Joe Strummer : "On est venus, on a dit ce qu'on avait à dire, on s'est cassés, moi, ça me plaît bien".




The Clash, Ed. Au Diable vauvert, 386 p., 54 €.

Live at Shea Stadium, 1 CD Sony-BMG.

The Clash Revolution Rock, 1 DVD Sony-BMG, 82 min.


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