Música: Muti et Depardieu, ensemble pour Berlioz
La Fantastique de Muti est donc résolument fantasmatique. Traversée de visions délirantes telles qu'en provoquent les vapeurs d'opium dont le jeune homme du récit s'est empoisonné. Finesse arachnéenne du "Bal" et son rêve de valse, fantaisie chambriste de la "Scène aux champs", et la "Marche au supplice" jouée comme en apesanteur avant le cauchemar final du "Songe d'une nuit de Sabbat" : pour tout cela, ovation méritée.
Changement de décor après l'entracte. Un rideau de tulle avec un arbre dénudé sur fond d'aube bleue sépare, comme le voulait Berlioz, le récitant Gérard Depardieu, piqué à l'avant-scène, des musiciens noyés dans une douce pénombre constellée de lampes des pupitres. L'acteur est aussi blond et imposant que Muti est brun, mince et petit.
"LAISSEZ-MOI SEUL!"
Depardieu semble avoir du mal à se concentrer et restera un peu en retrait de ce texte un rien fuligineux écrit dans la déferlante du succès de la Fantastique par un Berlioz de 27 ans, bien décidé à en découdre, qui n'hésite pas à convoquer Goethe, Moore et Shakespeare et à recycler certains épisodes musicaux tirés de compositions fragmentaires antérieures.
Gérard Depardieu n'est pas un nouveau venu dans la musique. Il a notamment campé en 2002 pour le Festival Radio France de Montpellier, puis au Théâtre du Châtelet, à Paris, en 2004, un magnifique "Tartarin de Tarascon" hongrois dans le truculent Harry Janos, de Zoltan Kodaly. On se souvient aussi de la musicalité exceptionnelle, de la beauté à couper le souffle de ses phrases d'écorché vif, comme modulées sur cette musique de Schubert qu'il ne pouvait plus supporter dans le film Trop belle pour toi (1989), de Bertrand Blier.
On ne retrouvera pas le "diseur" génial, mais l'acteur, en revanche, est émouvant : il ne privilégie pas le retour à la vie mais la tristesse de ce retour à la vie. A la presque fin, ayant épuisé la colère, la vindicte et l'amour, il aura comme un petit air de Cyrano de Bergerac en bout de course, tel qu'il était, à tirer des larmes, dans le film de Jean-Paul Rappeneau (1990).
Derrière le rideau, Muti sera de bout en bout aussi admirable qu'en lui-même. Il plongera le "Choeur d'Ombres" dans les moires chatoyantes d'une "nuit de la mort" aux sonorités hallucinantes, festoiera de cuivres la "Chanson de brigands" comme il convient, chantera la brise mordorée de la "Harpe éolienne" avant les fastes de la grande "Fantaisie sur La Tempête de Shakespeare".
Puis la grande silhouette de Depardieu se disloquera : "Adieu, mes amis ! Je suis souffrant, laissez-moi seul !", comprimant, la main sur le coeur, comme une indicible douleur. On sortira de la salle avec la certitude que ces paroles n'étaient pas seulement celles de Berlioz.
Episode de la vie d'un artiste, de Berlioz. Avec Gérard Depardieu (récitant), Marc Laho (ténor), Ludovic Tézier (baryton), Choeur de Radio France, Orchestre national de France, Riccardo Muti (direction). Théâtre des Champs-Elysées, Paris-8e. Le 26 février.
Même programme avec Marcial Di Fonzo Bo (récitant) dans une mise en espace du vidéaste Jean-Philippe Clarac et du scénographe Olivier Deloeuil, avec Philippe Herreweghe à la tête de son Orchestre des Champs-Elysées, le 14 avril à 20 h 30 à l'Auditorium de Poitiers (Vienne). Tél. : 05-49-39-29-29. Sur Internet : www.letheatre-poitiers.com
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