Opera: L'entrée éclatante du "Grand Macabre" à Bruxelles

BRUXELLES ENVOYÉE SPÉCIALE



Il aura fallu attendre 2009 pour que Le Grand Macabre, oeuvre-phare du XXe siècle et unique opéra du compositeur hongrois György Ligeti (1923-2006), soit enfin monté dans la capitale belge. D'autant plus étonnant que le sujet est adapté de la pièce de l'écrivain surréaliste bruxellois Michel de Ghelderode (1898-1962). Mais cette magistrale production, incroyablement prolixe, volontiers sacrilège, fera date, tant la verve du collectif catalan la Fura dels Baus a trouvé ici oeuvre à sa démesure.

La démesure, c'est aussi Ligeti : avec la création du Grand Macabre en 1978, le compositeur rompt le jeûne d'une génération d'après-guerre qui vomit l'art lyrique, summum du conservatisme. Une joyeuse époque qui, Pierre Boulez en tête, suggère de "faire sauter toutes les maisons d'opéra" ! Ligeti fera donc un "anti-anti-opéra". Cherchant son inspiration du côté du romancier et dramaturge Alfred Jarry (1873-1907) et du théâtre de l'absurde, il trouve Michel de Ghelderode, dramaturge attitré du Théâtre populaire flamand, dont La Balade du Grand Macabre semble correspondre à ses conceptions musico-dramatiques - "Une fin du monde qui n'a pas lieu avec pour héros la Mort, laquelle n'est peut-être qu'un pauvre charlatan, le monde fichu et cependant prospère, ivre et paillard du pays imaginaire de Breughellande".

Est-ce le rire "hénaurme" de Ligeti-s'en-va-t-en-guerre à coups d'invectives de klaxons, cuivres et percussions ? "Vienne l'heure, sonne le glas, vivez jusque-là bien dans la joie!" : mardi 24 mars au soir, on a rarement entendu l'Orchestre de la Monnaie dans une forme aussi éblouissante que sous la direction mâle du chef d'orchestre anglais, Leo Hussain.

DES VOCALISES DE FOLIE

Quant aux chanteurs, ils méritent tous qu'on retienne leur nom. Que ce soit le Nekrotzar pervers de Werner Van Mechelen, Chris Merritt en ivrogne des profondeurs (Piet le Bock), Frances Bourne et Ilse Eerens, deux belles voix de femmes pour un couple d'amoureux très en action (Amando et Amanda, initialement et suggestivement nommés Spermando et Clitoria). Ou l'Astradamors en nuisette rose de Frode Olsen et son épouse nymphomane, Mescalina, qu'incarne tous seins et sexe dehors la soprano Ning Liang, ou bien encore l'irrésistible Brian Asawa, contre-ténor al dente en Prince Go-Go très dancer, ainsi que la formidable colorature Barbara Hannigan, Vénus sexy à la chevelure rose, ou Gepopo, le chef de la police secrète, affrontant, à la limite de la transe, des vocalises de folie.

Mais la plus vivante, c'est Claudia, poupée Gargantua, conçue par le décorateur Alfons Flores d'après les sculptures hyperréalistes de Ron Mueck, dont la mise en scène d'Alex Ollé et de l'Argentine Valentina Carrasco exploite les moindres orifices jusqu'à transformer son cul en boîte de nuit. Claudia, à laquelle les projections du vidéaste Frank Aleu confère une vie troublante, à l'instar de la vraie vie de Claudia, chanteuse de Barcelone malade et névrosée filmée en deux vidéos liminaires au début de chaque partie du spectacle. Une idée à la fois simple et géniale qui prouve que tout théâtre, arts plastiques et nouvelles technologies confondus, la Fura dels Baus est passée maître de l'Apocalypse.

Le Grand Macabre, de György Ligeti. Avec Chris Merritt, Werner Van Mechelen, Frode Olsen, Ning Liang, Barbara Hannigan, Frances Bourne, Ilse Eerens, Alex Ollé et Valentina Carrasco (concept et mise en scène), Alfons Flores (décors), Frank Aleu (vidéo), Lluc Castells (costumes), Peter Van Praet (éclairages), Orchestre symphonique et Choeurs de la Monnaie, Leo Hussain (direction). Opéra royal de la Monnaie, à Bruxelles (Belgique). Le 24 mars. Prochaines représentations le 31 mars, les 1er, 2, 4 et 5 avril à 20 heures. Tél. : 00-32-22-29-12-00. De 20 € à 100 €. Sur Internet : www.lamonnaie.be.

Marie-Aude Roux

En 1934, Michel de Ghelderode publie une pièce en français, La Balade du grand macabre. Entre 1975 et 1977, le compositeur hongrois György Ligeti en tire un opéra, Le Grand Macabre, sur un livret allemand écrit avec Michael Meschke. Mais c'est en suédois que la partition est créée, le 12 avril 1978 à l'Opéra de Stockholm. En 1996, le compositeur remanie son opéra en anglais pour la production mise en scène par Peter Sellars au Festival de Salzbourg 1997, laquelle sera d'ailleurs reprise au Châtelet, à Paris, en février 1998. Une version qui ne plaît pas à Ligeti: "L'oeuvre est transformée en une pièce comportant une morale profonde de mouvement antinucléaire. (...) C'est une transformation du contenu de la pièce".

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