Música: Avec Pharoah Sanders, le passé a un avenir

Dispositif on ne peut plus classique au New Morning, le 28 avril: trio impeccable (William Henderson, piano, Nat Reeves, contrebasse, Joe Farnworth, batterie), plus un soliste de légende, M. Pharoah Sanders, sax ténor. Son de baleine en rut, faisant flèche de tout cuivre, tapotant les tampons en cadence, se jouant du tempo, le souffle continu, l'espagnolade inspirée, cheveux et barbe de neige, n'hésitant pas à faire couiner le public, aussi hiératique dans la posture (épaules immobiles, doigts effleurant) que monstrueux de joie et d'énergie, Pharoah Sanders démontre un théorème réjouissant: il y a un avenir pour le passé.
Compagnon musical des dernières années de John Coltrane (1926-1967), ténor et soprano comme lui, partenaire de ses albums Meditations et Kulu Sé Mama, dynamiteur de l'Europe à la fin des années 1960, présent au Festival panafricain d'Alger en 1969, Farrell "Pharoah" Sanders, saxophoniste et compositeur, naît à Little Rock (Arkansas) le 13 octobre 1940.

Little Rock, capitale de l'Arkansas, devient en 1957 un symbole. Neuf élèves afro-américains entrent, sous protection de la troupe, dans le lycée "blanc" où ils ont été admis. Le gouverneur Orval Faubus leur refuse ce droit voté trois ans plus tôt. Le Ku Klux Klan s'en mêle. Emeutes, saletés, l'affaire prend une tournure planétaire. Ce que l'on sait moins, parce que les Etats-Unis de l'apartheid l'ont caché, c'est que Louis Armstrong, 57 ans à l'époque, renonce par solidarité avec les "neuf" de Little Rock à une tournée du département d'Etat en Union soviétique. En pleine guerre froide, les orchestres noirs servaient d'ambassadeurs chargés du réchauffement de la planète. Farrell Sanders, lui, a 17 ans.

LE CONCERT DE L'ANNÉE

Comme Coltrane, il commence par l'impitoyable école du rhythm and blues et les premières armes du rock and roll noir, avant que celui-ci ne se fasse dévaliser par les blancs. Tout en vrac, le son, la spiritualité, le contrôle du souffle, la pince des lèvres, l'énergie qui monte du ventre, quelques pitreries pour amuser la galerie, les phrases étranglées, le blues appuyé sur le free, tout affiche chez le pharaon aux airs de prince assyrien un dynamisme insolent.

Voici quatre ou cinq ans, en scène, il peinait. Il y a des années où on ne sent pas bien. Terminé, ladies and gentlemen: Pharoah Sanders est de retour. Le public qui n'était pas né en 1957 n'en revient pas. Tout lui plaît. Les musiciens présents dans la salle, Lionel Belmondo, Thomas Savy, exultent ("le problème c'est que demain, quand je prendrai mon ténor, j'aurai l'air de jouer de la flûte à bec"). Grande leçon de vie, de présence, d'invention. Avec pour coda une reprise d'After the Rain (de Coltrane) à faire sangloter un menhir.

Ce parfum de terre qui crépite après l'orage. Ce parfum qu'aviateurs et météorologues appellent la "restitution". Le New Morning annonçant les deux concerts fanfaronne: "L'événement du mois". Eh bien, c'est parfaitement vérifié. De l'année, même.

Pharoah Sanders Quartet. New Morning, 7, rue des Petites-Ecuries, Paris-10e. Tél. : 01-45-23-51-41. Prochain concert, le 29 avril à 21 heures.

Francis Marmande

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