Cultura: Du sang neuf pour Dracula

Un photogramme du Nosferatu de Murnau, adaptation du célèbre ramon de Bram Stoker. Crédits photo : Collection Christophel
 
Par Françoise Dargent
 
 
 

Cent douze ans après l'original, Dracula est de retour, grâce à l'arrière-petit-neveu de Bram Stoker, son créateur. Les héros aux «dents longues» sont à la mode.

Il est toujours grand, brun et terriblement ténébreux. Il revient et il a plus que jamais les dents longues. Centenaire, Dracula n'a, en revanche, pas pris une ride. «Normal», diront les mordus de ce héros qui prétend depuis toujours à l'immortalité et qui connaît, ces dernières années, un vif regain d'intérêt dans le cinéma et la littérature. De Bram Stoker à Stephenie Meyer, son retour est désormais tel que l'on frise aujourd'hui le phénomène de société.

Dans Dracula, l'œuvre de référence écrite en 1897, l'Irlandais Bram Stoker avait pourtant fait mourir son personnage réduit en un petit tas de poussière. C'était compter sans son arrière-petit-neveu, Dacre Stoker, qui vient de ressusciter la créature dans une suite, Dracula l'immortel. Le livre est sorti le 15 octobre dans quarante-cinq pays. En France, l'éditeur Michel Lafon en a acquis les droits et le publie d'emblée à 90 000 exemplaires, un premier tirage à la mesure du tapage fait autour de l'événement.

Avant de se lancer dans l'écriture, le descendant de l'auteur a dû obtenir le consentement des soixante-dix héritiers. Directeur d'une réserve naturelle en Caroline du Sud et ancien entraîneur de l'équipe canadienne de pentathlon, Dacre Stoker dit s'être inspiré des notes laissées par son illustre ancêtre et d'anecdotes familiales. Il a coécrit l'ouvrage avec un spécialiste ès vampires, Ian Holt, historien et membre de la Société transylvanienne de Dracula. Le fantôme de l'ar rière- grand-oncle a fait le reste : «La nuit tombée, après de longues heures de travail, nous sentions que l'esprit de Bram était là avec nous tant ses longues idées perdues sont une part importante de notre roman», a ainsi expliqué Dacre Stoker, auteur visiblement envoûté.

 

Les dentistes de Hollywood

La suite n'a pas le charme de l'original, qui était en grande partie dû à son style épistolaire et à ses descriptions envoûtantes de la Transylvanie, mais le roman du duo contemporain s'avère plutôt réussi. Calibré selon les critères éditoriaux de notre époque (chapitres courts et suspense astucieusement distillé), il fait revivre les héros victorieux de l'histoire originelle, en les revisitant vingt-cinq ans après les événements. À la fin d'un deuxième tome qui pourrait, dit-on, en appeler d'autres, il ne restera plus grand monde des personnages d'origine poursuivis par Dracula, flanqué pour l'occasion d'une sanguinaire émule.

Si Dacre Stoker peut se prévaloir d'une certaine légitimité en la matière, lignée familiale oblige, il n'en va pas de même pour d'autres auteurs contemporains qui se sont saisis du mythe en le réadaptant à leur idée. Le succès mondial de Twilight, la saga de Stephenie Meyer, a remis le vampi re, personnage récurrent dans la littérature gothique, sur le devant de la scène. Le sien, Edward, est une vraie gravure de mode au cœur d'artichaut, ro­mantique en diable. Il s'est juré de ne jamais boire de sang humain et se refuse, malgré la tentation, à croquer la gorge de sa bien-aimée, d'où cette tension permanente qui a fait le succès du livre auprès des jeunes femmes. Foin d'ail, de crucifix et de pieu planté dans le cœur, denrées obsolètes pour le néovampire. Cette créature qui plaît tant aux adolescentes a d'ailleurs pris sur grand écran les traits  du sédui sant acteur Robert Pattinson, vi sage d'an­ge et sourire poli par l'art des dentistes de Hollywood. Une évolution qui n'a pas échappé à Jean Marigny, professeur à l'université de Grenoble, également fondateur du Groupe d'études et de recherches sur le fantastique. Il décrypte le phénomène dans un ouvrage d'actualité (1) et écrit : «Les écrivains modernes tendent à réhabiliter les vampires, qui ne sont plus montrés comme d'odieux criminels. Ils ont toujours besoin de sang, mais ils n'ont plus besoin de tuer… Cette vision aseptisée permet aux vampires de devenir des héros à part entière : ils ne sont pas nuisibles, ils sont pratiquement invulnérables et la vieillesse et la maladie n'ont aucune prise sur eux.» Le spécialiste explique ainsi en partie la fascination actuelle pour ces nouveaux héros qui «représentent symboliquement ce qui nous touche le plus intimement. Le sang, la vie et la mort.»

Le réalisateur de cinéma fantastique, Guillermo del Toro, a choisi, sur ce thème, de prendre à contre-pied l'image du héros sentimental. Dans son roman, le premier d'une trilogie intitulée La Lignée (Presses de la Cité), il imagine la destruction de New York à la suite d'une pandémie vampirique. Âmes sensibles s'abstenir, son terrifiant héros, à mille lieues du dandy à la Byron de la littérature du XIXe ou du teen-ager des romans destinés aux adolescents, prend sa source dans les plus noires légendes de vampires de l'humanité. À travers cet ennemi emblématique, l'auteur exploite les craintes actuelles autour des virus et de la contagion, opposant l'impuissance des médecins contemporains à la force du vampire invincible venu du fond des âges, un grand mythe européen que l'Amérique n'en finit pas de digérer depuis des décennies.

 

Objet de culte en Transylvanie

Car si, de nos jours, 80 % de la littérature sur les vampires est produite aux États-Unis, c'est en Europe de l'Est qu'est né le personnage. Bram Stoker fut le premier à montrer un net souci d'authenticité en se plongeant dans des archives. Que découvre-t-il alors ? Qu'aux XVIe et XVIIIe siècles, certaines populations d'Europe centrale n'hésitaient pas à faire rouvrir les cercueils lors de morts suspectes, pour débusquer le vampire qui s'y cachait. Probablement informé de ces croyances paysannes, Bram Stoker a inventé son propre personnage en s'inspirant d'une figure historique, le fameux Vlad l'Empaleur, prince de Valachie au XVe siècle.

Il faut aujourd'hui se rendre en Roumanie pour découvrir comment le roman de l'Irlandais irrite certains autant qu'il en comble d'autres. Car ce Vlad Dracula (Dracula signifie «fils de Dracul»), qui combattit sa vie durant les Ottomans, est aussi con sidéré dans son pays comme un hé ros national. Courageux, il fut aussi cruel envers ses opposants. L'histoire dit qu'il empala 20 000 hommes dans une forêt pour faire fuir ses ennemis. À sa mort, les rumeurs les plus folles circulèrent, dont la première à travers L'Histoire du prince Dracula, ouvrage de propagande politique destiné à justifier sa destitution. Elles contribuèrent à véhiculer en Europe l'image d'un être sanguinaire qui a abouti à l'avatar que l'on sait et à quelques audacieuses interprétations.

Ainsi, au cœur de la Transylvanie, le château de Bran, premier site historique du pays, imposante et solide bâtisse surmontant les forêts alentours, fait l'objet d'un culte qui fait frémir les historiens sérieux. Avant d'accéder à son portail, on ne peut éviter les échoppes qui vendent des tee-shirts à l'effigie d'un Vlad Dracula affublé de canines acérées. Dans cette demeure, qui fut l'une des résidences au XXe siècle d'une reine superbe et raffinée, Marie de Roumanie, Vlad Dracula ne mit pourtant jamais les pieds. «Son grand-père peut-être», avancent, du bout des lèvres, les guides locaux. Peu disent que le vrai château natal du prince, celui de Poienari, est envahi par les ronces et bien peu présentable. Bran fait mieux l'affaire puisqu'il peut ressembler à l'idée que l'on se fait d'un repaire de vampires, avec coursives, escaliers et passage secret, brume en option fréquente (ceux qui ont en tête Nosferatu, le film de Murnau, comprendront). On vient donc ici trembler en imaginant son fantôme. Qu'importe s'il n'existe pas, les guides ne manquent jamais de donner d'hypothétiques rendez-vous à la tombée de la nuit. Neagu Djuvara, historien roumain, s'insurge contre l'amalgame fait au cours du XXe siècle : «Vlad l'Empaleur n'a-t-il pas eu assez d'imagination en matière de cruauté pour qu'on lui prête en plus le pouvoir d'un vampire ? Son histoire se suffit à elle seule. Dracula est un roman. Venez donc voir nos monastères et nos églises !»

Interdite du temps de Ceausescu, l'œuvre de Bram Stoker est aujourd'hui récupérée pour le tourisme. Reste à savoir si la suite qui paraîtra en Roumanie sous l'égide de la très sérieuse maison d'édition Humanitas aura autant de succès que la tétralogie de Stephenie Meyer. En France, la question ne se pose plus. Le vampire poursuit gaillardement sa route. D'ici à la fin de l'année, outre la suite de Dracula, les inconditionnels pourront aussi découvrir sur grand écran le nouveau Twilight et lire La Grande Encyclopédie des vampires, à paraître chez l'éditeur Hoëbeke.

Il faut faire vite, l'année prochaine, la rumeur annonce la sortie attendue du prochain roman d'Anne Rice, l'auteur d'Entretien avec un vampire, classique de la littérature fantastique des années 1970. La dame, sans doute lassée, a décidé que l'on ne l'y reprendrait plus et publie un roman dont le héros est… un ange. Les vampires peuvent trembler.

 

(1) La Fascination des vampires, Éditions Klincksieck, 224 p, 16 €.

 

 

http://www.lefigaro.fr/livres/2009/10/31/03005-20091031ARTFIG00337-du-sang-neuf-pour-dracula-.php

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