Cultura: Freud toujours actuel
Freud envahit les librairies. Après que son oeuvre a été contrôlée durant des décennies par trois éditeurs (Payot, Gallimard, PUF), d'autres (Seuil, Garnier-Flammarion…) élargissent le cercle freudien grâce aux nouvelles traductions qu'autorise depuis le 1er janvier l'entrée de son oeuvre dans le domaine public (libre de droits).
Par-delà les divergences entre les ultraspécialistes de la langue allemande et ceux de la langue freudienne (doit-on traduire par "culture"ou "civilisation" le mot "Kultur" ?), cet effet de masse n'est pas sans ambiguïté.
Car si Freud n'a jamais été autant traduit, lu ou commenté, si ses théories n'ont jamais autant infiltré l'espace social et médiatique, jusque dans la caricature dévoyée de sa pensée (les avis des psys à toutes les sauces sur tout et n'importe quoi dans les journaux féminins et à la télé), l'inventeur de la psychanalyse subit dans le même mouvement un rejet brutal.
Du Livre noir de la psychanalyse aux sarcasmes répétés de ses nombreux ennemis autoproclamés, qui souvent associent Freud à Marx comme figure du mal moderne, il y a de quoi douter de la "popularité" de Freud.
Si son fantôme hante nos esprits et nos librairies, il a l'allure d'un vampire que beaucoup voudraient voir disparaître dans le ciel idéologique du fameux "comportementalisme" et des pratiques thérapeutiques qui enterrent l'impact de l'inconscient sur nos vies obscures.
Freud nous aurait, selon ses détracteurs, trompés, au nom des fameux critères de son efficacité relative. Passer vingt ans sur un divan (ça arrive…) suffirait à le délégitimer.
Outre que cette attaque reste un peu courte, c'est au coeur de ce paradoxe, entre admiration aveugle et rejet absolu, qu'il faut le lire ou le relire.
Même un novice, voire un sceptique de l'inconscient et du complexe d'OEdipe, ne peut que mesurer, par exemple, la force visionnaire d'un texte comme Malaise dans la civilisation, écrit en 1929.
Quatre-vingts ans après, comment ne pas déceler dans ce livre limpide, habité, tout sauf jargonnant, la marque d'une réflexion fondatrice, posant les jalons de nos angoisses animées par nos pulsions d'autodestruction?
"Les hommes sont arrivés maintenant à un tel degré de maîtrise des forces de la nature qu'avec l'aide de celles-ci il leur est facile de s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier. Ils le savent, d'où une bonne part de leur inquiétude actuelle, de leur malheur, de leur angoisse".
La psychanalyse n'a jamais prétendu sauver le monde, elle en mesure simplement le principe d'inquiétude pour tenter d'y faire face.
C'est la bonne nouvelle de cette avalanche: révéler à ceux qui en doutent encore que Freud reste le grand écrivain de l'intranquillité.
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/1264856401/article/freud-toujours-actuel/
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