Cultura: Docu : "I am the Media" ou l'ultra-narcissisme sur Internet

Critique sans être manichéen, Benjamin Rassat use d’humour et d’autodérision pour analyser l’explosion égocentrique sur le net. Ce qui ne plaît pas à tous les blogueurs.


Par Anne-Claire Norot





Bloguer est-il une activité masturbatoire ? C’est ce que semble suggérer les dernières images de la version intégrale, sur le net, d’I Am the Media, un documentaire de Benjamin Rassat qui explore la relation entre web et narcissisme. “L’internet est le seul endroit où on peut parler de soi sans être interrompu”, affirme le réalisateur en préambule.

De YouTube aux blogs, de Twitter à Facebook, le web est évidemment un fabuleux espace pour se mettre en scène, comme l’ont montré les désormais fameux Boxxy ou Lonelygirl15.

Dans un précédent documentaire, l’excellent Quand l’internet fait des bulles, Benjamin Rassat retraçait l’épopée des pionniers du web. C’est en constatant que la première réaction des professionnels du net était de se demander s’ils apparaissaient ou non dans le film que le jeune réalisateur a eu l’idée d’I Am the Media.

Benjamin Rassat montre comment, en s'exposant, on se regarde soi-même

De l’entrepreneur et blogueur français Loïc Le Meur à Robert Scoble, surnommé l’“egoblogueur”, de Justin Kan, qui se filmait 24 h/24 et diffusait le tout en direct, à la jeune Indienne Meenakshi Madhavan, qui tient son journal intime en ligne depuis 2004, chacun tente d’expliquer comment il utilise le web, ce qu’il accepte de montrer et ce qu’il choisit de cacher.

A l’aide de vidéos populaires de YouTube (Giggling Baby aux 120 millions de vues, 2 girls 1 cup, Magibon…), I Am the Media montre comment, en s’exposant, on ne cesse de se regarder soi-même. Même si ce n’est pas un phénomène nouveau, comme le notent des spécialistes des médias, Benjamin Rassat s’intéresse aux personnages qui ont su tirer parti de la puissance du net. “Je ne voulais pas faire un tour du dépotoir du net. Des gens comme Magibon ou Makemebad35 savent se mettre en scène et se faire remarquer. Ils ont compris que le monde actuel est un jeu des médias. Et l’effet de miroir va prendre une résonance folle dans les années à venir.” Au point de perdre toute capacité de recul et d’autodérision ?

Les blogueurs dévoilent leurs gros ego

Au fil des interviews, on mesure combien le blog est un objet ambigu, à la fois média d’information et d’opinion et moyen d’autopromotion. La forme rejoignant le fond, I Am the Media est lui-même ambivalent. Benjamin Rassat manipule certains de ses intervenants, dévoilant leurs gros ego à leur insu. Ainsi Andrew Keen, auteur du livre Le Culte de l’amateur, qui jure ne jamais se googliser et trouve “vain” le narcissisme du web, finit par avouer qu’il possède son propre site perso.

Benjamin Rassat illustre son propos par son propre narcissisme. Il s’y met en scène outrageusement, s’auto-interviewe pour présenter les différentes séquences, et surtout distille délibérément et discrètement des infos erronées. “Je suis le réalisateur, je raconte ce que je veux. Je peux mentir, donner des chiffres faux. Pendant la réalisation du film, le média, c’était moi”, se justifie-t-il.

"Certains blogueurs ont pensé qu'on se moquait d'eux"

Par cette mise en abyme, Benjamin Rassat pousse à s’interroger sur l’exactitude de l’information que l’on trouve dans les médias. A partir du moment où l’auteur est tout-puissant, comment ne serait-il pas tenté de s’y dévoiler sous son meilleur jour, de se mettre en avant et en valeur, quitte à déguiser la vérité ? Manipulant l’information, les intervenants et le spectateur, cet admirateur de William Karel (Opération Lune) cherche à aiguiser la vigilance, même s’il avoue trouver parfois “agréable de se faire balader pourvu que ce soit vraisemblable”.

Coup de boule dans le piédestal sur lequel se sont juchés certains blogueurs, I Am the Media a suscité des réactions mitigées lors d’une avant-première devant un parterre de professionnels. “Certains ont pensé qu’on se moquait d’eux”, regrette Benjamin Rassat. I Am the Media ne se veut pourtant pas un portrait à charge. Gentiment poil à gratter, il fait preuve d’humour et Benjamin Rassat espère ne pas être mal compris. “Le narcissisme n’empêche pas la curiosité, l’altruisme, la générosité. Je serais triste si LeMeur et Scoble pensaient que je suis venu les ridiculiser.”

Diffusion sur Arte (version 56 min), le 30 mai à 14h. Diffusion gratuite et intégrale (version 58 min) sur iamthemedia.tv à partir du 31 mai.

Photos tirées du site beautifulagony.com, sur lequel des internautes postent des vidéos de leurs orgasmes.






http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/45275/date/2010-05-28/article/internet-sexposer-plus-pour-se-regarder-plus/


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