Música: Ca casse: Sigur Rós par Thomas Burgel




Pour le plaisir de dire n'importe quoi et d'étaler leur mauvaise foi, les rédacteurs des Inrocks continuent à s'en prendre, n'importe comment, aux artistes adorés: aujourd'hui, Sigur Rós ennuie terriblement Thomas Burgel.




Il était une fois. Des temps immémoriaux. Si immémoriaux qué l’eau ne s’appelerio pas encore Quézac, c’est dire si c’était il était une fois. La Pangée éclatait à peine. Elle commençait tout juste à se fracasser par le jeu dantesque d’une petite troupe de lutins, immémoriaux eux-aussi vous vous en doutez, à qui des Dieux indicibles avaient confié la tâche de disloquer la terre unique et former de les continents. Les lutins étaient, à la base, une équipe de douze. Il y avait Jean-Didier, Kevin, Christopher, Marc et Sophie, Bernard, Isabelle, Richard, Hjálmey, Vilhjálmur, Ólöf Ósk et Sólbjörn. Douze petits lutins assez balèzes, il faut bien le dire.


Oui mais voilà : Jean-Didier, Kevin, Christopher, Marc et Sophie, Bernard, Isabelle et Richard n’aimaient pas, mais alors pas du tout, Hjálmey, Vilhjálmur, Ólöf Ósk et Sólbjörn. Leurs prénoms étaient trop compliqués à prononcer. Ils ne les prononçaient d’ailleurs jamais. Il fallait la souplesse d’un poulpe transgénique à trente tentacules pour trouver raccourcis claviers. Ils n’étaient pas normaux, ils étaient froids absolus, ou ils étaient chauds bouillants, ils n’arrêtaient pas de faire les cons avec les volcans, avec la glace aussi. Jean-Didier, Kevin, Christopher, Marc et Sophie, Bernard, Isabelle et Richard, ont fini par en avoir marre. Ils ont décidé de se débarrasser de Hjálmey, Vilhjálmur, Ólöf Ósk et Sólbjörn. Oh, il ne s'agissait pas de les tuer, entre lutins, voyons, vous n’y pensez pas. "Il y a plus simple", expliqua Richard. "On les abandonne sur un petit lopin de caillou, loin de tout, avec plein de volcans, avec plein de glace aussi, et hop, Hjálmey, Vilhjálmur, Ólöf Ósk et Sólbjörn nous lâchent les bonnets"

Le petit lopin de terre, on l’appelerio en ces temps plus mémoriaux l’Islande. Des humains y ont depuis élu domicile. Cachés dans les sources d'eau chaude, Hjálmey, Vilhjálmur, Ólöf Ósk et Sólbjörn y vivent toujours. Ils continuent à être joueurs, les imprononçables. Une petite éruption par là, une autre par ici, et que je te bloque le ciel européen pendant trois semaines, et que je te pose un glacier un peu n’importe où, et que je te rajoute des geysers en veux-tu en voilà pour faire plus joli. Ils s’amusent aussi parfois avec une catégorie bien particulière d’autochtones : les musiciens. Ils s’en approchent, la nuit, dans les quelques minutes qui suivent leur mise au monde. Ils les touchent du bout des doits de feu puis les frôlent de leurs paumes de glace. Ils leur offrent des pouvoirs de démiurges soniques, la capacité de commander aux volcans, celle de déplacer les glaciers, tout ça.

Bon, ok. Les esprits les plus vivaces auront compris que tout ce qui précède n’est que légende. Les scientifiques auront d’ailleurs noté que la dislocation de la Pangée date de la fin du Trias, quand la formation géophysique de l’Islande actuelle, elle, n’est intervenue que sous George Pompidou. Les fans de Sigur Rós, eux, se demandent comme tout le monde où je veux en venir. Patience, ça vient, on y arrive, pas de panique, détendez-vous. Et bien voilà: Sigur Rós va prendre pour les autres. Parce que marre des contes de fées pour touristes qui ne viendront de toute jamais vérifier de leurs propres yeux la toute magnificence de l’île, avec ou sans légende. Parce que marre des facilités de journaliste, de mes propres réflexes d’ailleurs : les volcans, la glace, l’alliance de l’un avec l’autre, c’est marrant deux minutes, mais n’a jamais fait que de l’eau chaude. 


Celle de Sigur Rós, on y vient enfin, s’est quant à elle très, très vite tiédie. On a, un temps, un temps court, adoré Sigur Rós. On a continué à les apprécier de temps en temps, un morceau par ici, un autre par là. Mais on aurait sans doute pu beaucoup plus les aimer: il aurait fallu pour cela que le décorum, le folklore, le mythique n’écrase pas tout le reste de son poids symbolique, que les légendes ne soient plus un prétexte pour l’art, il aurait fallu pouvoir apprécier le groupe sans les Volcans vs la Glace II le retour et tout le tintouin.


On aurait surtout pu adorer Sigur Rós si ça n’avait pas été, au final, aussi chiant. "Ce n'est pas un argument objectif", hurlez-vous (tout bas, à cause des voisins). Détrompez-vous: le musicologue Jim Beam, fameux pour avoir prouvé que les Beatles avaient plagié l'intégralité de leur oeuvre sur Corynne Charby, abonde. "Sigur Rós, c'est chiant" affirmait-il ainsi en conclusion de sa monographie consacrée au groupe. 

Jusqu’à Ágætis byrjun, passe encore. C’est un peu chiant, mais c’est beau, mais c’est un peu chiant, mais c’est beau, donc ça va. Il fallait bien se trouver un nouveau Radiohead, des nouveaux Islandais, c’était "nouveau", le mythe était encore intéressant, tout les gens de bon goût et de bonne composition hurlaient au génie donc pourquoi pas nous. Mais ().(), nom de dieu. C’est chiant, et chiant, et chiant, et quand même un peu beau des fois, mais surtout chiant. Les lutins ont pris le pouvoir sur le fond, le folklore le dessus sur la musique. Et la légende, ici, est bien terne: () sonne comme le mauvais résumé de toutes les conneries racontées en introduction de ce texte, comme la mauvaise bande son d’un documentaire sur les baleines en phase terminale dans les océans congelés. Si () est le bruit des volcans, alors Vulcania zouke plus que l’Islande. () ne s’écoute pas, il se fade. Ce n’est plus un album mais un gaz. Ou plutôt un liquide. Un liquide gras et visqueux, on s’y enfonce, lentement, sans recours, on pense ne jamais pouvoir revoir la surface, on suffoque d’ennui en attendant un quelconque sursaut. 

Le sursaut fut pour un peu plus tard. Takk…, s’appelait-il. Un poil plus brillant, un brin plus varié, un micro-chouïa moins soporifique que ce satané (). Oui mais voilà : Takk…, le joli Takk…, le mignon Takk… a fait directement bondir l’auditeur désormais méfiant des fonds abyssaux de l’ennui gluant aux sommets de la mièvrerie de conte de fée pour gogos barbapapés. Le groupe sombrait un peu plus dans la parodie moderniste du folklore local. On en revient au merveilleux artificiel, aux effets spéciaux sentimentaux, à l’Islande pour les nuls. On en revient, encore une fois, à nos lutins, qui dansent en soufflant sur la lave, dont les cœurs bouillants font fondre les icebergs, et blah, et blah et blah. Bref: c’est un peu moins chiant mais tout aussi pénible. Heureusement, pour sauver le groupe et nous avec de la noyade vint plus tard Með suð í eyrum við spilum endalaust. Dont on ne parlera pas ici, puisqu’on l’aime plutôt bien. Ne boudez pas, souvenez-vous du principe de cette rubrique : la mauvaise foi. Absolue.




Comentarios

Entradas populares